Doctrine ou attitude d'hostilité systématique à l'égard des juifs.
L'Antisémitisme est une forme de racisme à l'égard des juifs.
L'antisémitisme "moderne" n'a guère plus d'un siècle. Auparavant, et notamment au moyen-âge, les juifs étaient certes souvent persécutés, mais en tant que minorité religieuse et la conversion au catholicisme les mettait à l'abri (à la très relative exception de l'Espagne du 16ᵉ siècle). Même les accusations délirantes dont ils étaient la cible avaient généralement un caractère religieux (sacrifices rituels d'enfants chrétiens, "meurtres d'hosties", etc.). Saint Louis, par exemple, était impitoyable pour les juifs qui refusaient le baptême, mais se faisait volontiers le parrain (très généreux) de ceux qui l'acceptaient. Et par rapport aux autres minorités religieuses (derniers païens, cathares, etc.), les juifs étaient plutôt favorisés à cette époque. Ils ont connu de longues périodes de répit, été protégés par plusieurs papes. On peut d'ailleurs se demander si certaines violences antisémites de l'époque n'ont pas été perpétrées, non pas malgré, mais à cause de la relative tolérance dont les juifs bénéficiaient de la part des plus hautes instances de l'église.
Tout bascule à la fin du siècle dernier. Le Christianisme s'affaiblit ou s'assagit, comme on voudra et l'hostilité religieuse s'estompe. C'est alors qu'Edouard Drumont (1844-1917), promoteur de ce "nouvel antisémitisme" en France, poursuit de sa haine vigilante les juifs "dissimulés", mais considère avec bienveillance les juifs "ostentatoires", à papillotes. C'est alors qu'un autre thème surgit, typiquement, monstrueusement autogène, celui du complot juif : les juifs auraient secrètement projeté de prendre le pouvoir mondial et de détruire la civilisation. Le propos s'articule en grande partie autour d'un livre, Les protocoles des sages de Sion.
Son auteur ou l'organisateur aurait été un nommé Rachkovsky, membre de l'Okhrana (la police politique du Tsar) vers en . Le but est expressément d'exacerber la haine contre les juifs. Le Tsar lui-même, férocement antisémite, juge néanmoins jugé le procédé trop répugnant. Cependant l'ouvrage est diffusé par un moine fanatique, Sergueï Nilus.
On sait de quels livres se sont très largement inspirés les "Protocoles" : en , Maurice Joly, un avocat français, publie en Belgique un curieux essai intitulé Dialogues aux enfers entre Montesquieu et Machiavel. L'ensemble se présente comme une apologie cynique de la dictature et de la manipulation comme moyens de contrôler le monde entier (la naïveté des moyens proposés a de quoi faire retourner dans sa tombe le vrai Machiavel, mais c'est une autre question). C'est donc, en fait, une attaque "au 2ᵉ degré" contre le régime de Napoléon 3, espérant tromper la censure (espoir déçu puisque l'ouvrage est interdit en France et son auteur emprisonné). Cependant, nulle part dans ces Dialogues... il n'est question de juifs.
Si les Protocoles des sages de Sion en parlent, eux, ils sont pourtant, pour les 2/3, recopiés (souvent textuellement) du livre de Joly. Simplement, la très inquiétante société secrète qui vise à s'emparer du pouvoir mondial est remplacée par l'émanation du judaïsme. Ce texte va malheureusement inspirer nombre de massacres de juifs dans l'Empire Russe, puis être récupéré par le nazisme, puis enfin par certains régimes arabes jusqu'à aujourd'hui encore.
L'idée d'un complot des Juifs, supposés solidaires contre le reste du monde, leur prête des qualités et des vertus qu'ils n'ont pas plus que les autres. Ils sont, l'Histoire le prouve, ni moins ni plus enclins que les autres peuples à se gruger et à se tuer entre eux. Aussi, ni les juifs, ni les non-juifs sensés, n'ont véritablement vu venir le danger, croyant avoir affaire aux derniers soubresauts de l'ancienne hostilité religieuse. Sinon, comment aurait-il fallu réagir ? Pas simple. Quand l'idée autogène d'un complot est bien ancrée, celui qui le nie ne peut être qu'un comploteur ou une dupe des comploteurs.
Le résultat, on le connaît. Six millions de morts. Et les Protocoles circulent toujours. Une affaire plus récente, et également récurrente, montre que le terrain reste fertile (voir La rumeur d'Orléans).
On peut se demander si l'antisémitisme (comme d'ailleurs le philosémitisme abusif) ne commence pas dès qu'on utilise le mot "juif" sans préciser si on parle d'une ethnie (si tant est qu'elle soit clairement définie), d'une culture (même remarque), d'une religion, d'une nationalité (partagée bon gré mal gré par nombre d'arabes musulmans ou chrétiens). Car il peut désigner tout cela. Donc, un exemple des catastrophes induites par un jugement de valeur enfermé dans un seul mot.
Sur le caractère "moderne" de l'antisémitisme, une exception toutefois, en Espagne, au 16ᵉ siècle, puisqu'on y inquiétait et discriminait des Catholiques ayant eu des parents ou grand-parents juifs.
Certains "projets" des Protocoles des sages de Sion reflètent leur époque d'une manière inattendue, comme le projet de faire creuser des métros pour miner les grandes villes, ou bien celui de faire répandre le sport de masse pour abrutir, précisément, les masses : on était au début du métro comme du sport de masse...
Dans son essai Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs (Grasset 1993), Umberto Eco affirme avoir retrouvé la source d'inspiration principale de Joly : il s'agit d'un roman d'Eugène Sue publié quelques années auparavant, où le plan diabolique de domination provient... des jésuites. Sue lui-même semble s'être inspiré d'œuvres antérieures visant tantôt les francs-maçons (le "Cagliostro" d'Alexandre Dumas), tantôt les Rosicruciens, tantôt les Templiers.
A noter que le terme d'antisémitisme est mal choisi, car les sémites ne désignent pas exclusivement les juifs, mais aussi les arabes ou les carthaginois. Malgré cela personne n'a qualifié d'"antisémitisme" la haine antique des romains contre les carthaginois, ni l'aversion actuelle de diverses personnes (y compris juives) contre les arabes.
Références :