Cet article traite de l'élusivité des preuves en matière d'événements anormaux. Je parlerai des ovnis parce que c'est le sujet qui m'est le plus familier, mais le thème sous-jacent concerne les problèmes de la connaissance de l'inconnu et du contesté, et les mêmes arguments s'appliqueront plus ou moins aussi bien à d'autres anomalies. Ma préoccupation récente au sujet des preuves résulte d'une crise dans ma longue étude des ovnis. Il ne s'agit pas d'une crise de foi, car je reste convaincu qu'un résidu irréductible de non-identifiés reste après que tous les cas conventionnels soient identifiés dans la masse des signalements, et que ces inexpliqués tiennent leur statut non pas d'être seulement non-identifiés, mais parce qu'ils possèdent une étrangeté solide au-delà de toute solution conventionnelle. Il s'agit plutôt d'une crise de confiance, un sentiment que j'ai trop longtemps considéré implicite, étant trop naïf dans ce que j'ai accepté, ayant négligé trop de subtilités et d'écueils dans un paysage que je pensais connaître. Je crains et suis peut-être même embarrassé d'être plus incertain que je ne le pensais, et embarrassé d'avoir — moi comme les collègues ufologues - sous-estimé des failles que nous avions la responsabilité de remarquer.
A l'origine de ma préoccupation a été le succès récent de sceptiques à démonter certains cas d'ovnis longtemps réputés indémontables. Ces 2 dernières années ou à peu près ils ont fourni une explication conventionnelle aux lumières de Phoenix de 1997, un cas avec des milliers de témoins, dont le gouverneur de l'Arizona, et mis en avant dans le livre à succès de Leslie Kean, UFOs: Generals, Pilots, and Government Officials Go on the Record. Ils ont réussi à faire de même avec le "vaisseau-mère géant" du Yukon de 1996, décrit dans une émission télévisée populaire comme un des "10 meilleurs" cas d'ovnis de tous les temps. Plus troublant encore fut un article dans le Skeptical Inquirer de James McGaha et Joe Nickell qui offrait une solution à l'"Incident d'Exeter", un classique de en que Josef Allen Hynek considérait comme une rencontre rapprochée du 1er type exemplaire, et sur lequel la plupart des ufologues comptaient pour toujours. J'avais indubitablement pensé la même chose, puisque je l'avais inclus dans mon livre de 2010 dans le haut de ma short list d'ovnis favoris et authentiques s1Bullard, Thomas E.: The Myth and Mystery of UFOs, Topeka: University Press of Kansas, 2010, pp. 35-38..
La communauté ufologique a largement ignoré cette série de succès. Après tout, expliquer des cas est ce que font les sceptiques, ou du moins ce qu'ils tentent de faire. Nombre de leurs tentatives passées ont généré plus de rires que que d'éclairages, ou au mieux de l'exaspération, mais les sceptiques ont touché juste cette fois-ci. Les ufologues raisonnables acceptent le fait que la plupart des signalements d'ovnis décrivent des événements conventionnels interprétés à tort comme des choses étranges, et qu'il est même normal que quelques cas classiques s'écroulent de temps en temps suite à de nouvelles informations ou un examen renouvelé. Pour de nombreux ufologues la question de la preuve n'est plus vraiment d'actualité, juste une pensée après coup. Ils sont certains que l'existence des ovnis a été établie et qu'un large corpus de non-identifiés de grande qualité suffisent amplement à constituer une preuve ; la mission est dorénavant de comprendre la signification des ovnis, ce qui veut généralement dire comprendre ce que nos visiteurs extraterrestres font ici. La perte d'un cas ou deux, même s'il s'agit de cas significatifs, ne veut rien dire dans cette optique plus large. Nous avons plein de bons cas dans nos archives et de nouveaux arrivent tout le temps, donc pourquoi accorder de l'attention aux rognements pitoyables de l'opposition ?
Mon sentiment est considérablement plus gêné. Les attaques des sceptiques d'aujourd'hui sur les ovnis sont d'un genre différent des tristes concoctions de l'Air Force dans les années 1950s ou des pontifications de salon de l'astronome de Harvard Donald H. Menzel. Les sceptiques modernes apportent une critique rigoureuse et informée dans leurs arguments et soulignent des faits gênants que les ufologues sous-estiment ou ignorent. Ce nouveau calibre de scepticisme n'a rien de risible ; lorsqu'il vise, il touche. Et ils touchent de plus en plus juste. Lorsque des ufologues se fient aux nombres ils accrochent leur foi à une version de l'erreur du “fagôt”, la fausse croyance que beaucoup de cas léger constituent ensemble une meilleure preuve qu'un seul cas solide. Reste que l'argument d'un phénomène ovni significatif et unique dépend de l'existence d'au moins un ovni authentique. Nous n'avons ni corps d'extraterrestres ni d'exemple d'une technologie venant indiscutablement d'un autre monde. Ce que nous avons, ce sont des signalements, dont certains sont incontestablement impressionnants, mais qui restent des éléments anecdotiques qui comptent à peine comme un début preuve pour les scientifiques. Les éléments de preuve peuvent venir de corrélations et schémas récurrents chez des témoins oculaires, ou de photographies et radar, mais les faiblesses du témoignage humain, de la mémoire humaine, les influences sociales and culturelles, et les possibilités d'erreurs même de mesures instrumentées amoindrissent la solidité supposée des meilleures preuves d'ovnis. Ce sont ces types de failles que les sceptiques mettent à jour, avec de plus en plus de réussite.
Les combattants font face à des ufologues convaincus de détenir la preuve d'objets volants non-conventionnels volant dans le ciel. Ces cas décrivent plus que de simples lumières dans la nuit. Ils sont étayés par de multiples témoins fiables et une confirmation instrumentale, les objets affichent une étrangeté inhabituelle et aucune conventionnelle ne peut les expliquer. Ces cas méritent qu'on les défende comme des exemples concrets d'un phénomène ovni bien réel. D'un autre côté les sceptiques maintiennent qu'avec les bonnes informations ils peuvent expliquer n'importe quel ovni, quelle que soit son apparence d'étrangeté en surface, tandis que la pratique des ufologues de remplacer les nouveaux "non-identifiés" par des échecs ignore simplement la tendance inquiétante que si un cas après l'autre a échoué dans le passé, tous les autres vont tomber à leur tour. Le verdict doit alors être que pas un seul ovni non-conventionnel n'existe vraiment et que toutes les prétentions de l'ufologie, des objets dans le ciel aux enlèvements, s'évaporent dans une croyance culturelle “château dans le ciel”, comme les sceptiques l'ont toujours maintenu.
Présenté dans ces termes crus, le succès des sceptiques est loin d'être anodin. Tout le sujet est vraiment remis en question. Si les sceptiques can make good on leur affirmation que le mystère dans même les meilleurs cas d'ovni est apparent plutôt que réel, alors les fondements de l'ufologie s'effondrent et la superstructures des autres croyances liées aux ovnis tombe avec. La perte d'un cas classique fait particulièrement mal. Ils deviennent des classiques pour une bonne raison — parce qu'ils ont une qualité et une étrangeté exceptionnelle, et parce qu'ils ont résisté à de nombreuses remises en question sans que leur anormalité et leur mystère n'en soit amoindri. Ces cas résistants représentent le sujet sous son meilleur jour, sous forme de cas à opposer aux critiques et sceptiques, aux scientifiques comme au public intéressé en réponse à la question de pourquoi devoir accepter que les ovnis sont réels et posent une véritable question sérieuse. En perdant ces cas, nous perdons le sol sur lequel nous nous tenons.
Au pire ces succès des sceptiques appellent à une réflexion et une remise en question. Ils demandent à ce que l'ont comprenne ce qui n'a pas fonctionné dans des enquêtes qui ont débouché sur une conclusion désirée et laissé la vérité s'échapper. Plus profondément, ils obligent à revenir aux questions basiques sur la qualité et l'étanchéité des preuves ufologiques, et au final à la question de savoir si les preuves dont nous disposons sont tout simplement adéquates pour établir l'existence d'un phénomène non-conventionnel.
Une autre question cruciale est celle de la manière dont les ufologues (ou les anomalistes de tout genre) parlent à leur public. Lorsque nous parlons au nôtre, la plupart de ce que nous disons est ce que nous voulons entendre et nous oublions l'habitude de nous poser des questions exigeantes. Trop prêcher pour notre paroisse nous berce d'illusions en nous amenant à croire que nos déclarations sont d'une vérité évidente, au lieu de regarder en face le fait que les gens que nous voulons le plus convaincre — les sceptiques ouverts, les sceptiques durs mais honnêtes, et les scientifiques prêts à écouter — non seulement rejettent la plupart de notre supposée connaissance, mais s'offusquent d'une assurance que nous ne devrions pas avoir. Nous avons l'habitude d'accepter bien des choses que nous ne pouvons prouver. Nous pouvons facilement parler d'éléments non scientifiques entre collègues. Nous ne pouvons cependant pas nous attendre à ce que le monde plus large soit aussi réceptif. Notre rôle n'est pas simplement de faire des affirmations mais de les prouver, avec des preuves dont l'intégrité persuadera ou au moins troublera l'opposition. La plupart de ce que nous savons, ou pensons savoir, ne suffira pas. Cela appartiendra à une vaste zone grise de prétentions et théories qui parleront aux déjà-convaincus mais qui sonneront douteuses, voire folles, aux partisans de la réalité consensuelle. Nous devons choisir avec soin les outils probatoires de nos arguments, être rigoureux et spartiates dans notre sélection, ne nous laissant aucun endroit où nous cacher, aucune fumée ou miroirs pour troubler la confrontation entre nos faits les plus sûrs et les dures exigences de la vérité scientifique. Au lieu de cela nous sommes souvent nos pires ennemis, nos mots sont moins susceptibles de persuader que d'aliéner, jusqu'à ce que le public que nous voulons convaincre s'éloigne par réflexe. La question de savoir si nous devrions poser des questions scientifiques ou viser des scientifiques comme public se dessine plus loin encore ; mais que cela vous plaise ou non, que vous l'avouiez ou non, c'est à la porte de la science qu e la plupart des ufologues frappent dans un effort insistant mais futile pour être amis.
Ce que nous disons des ovnis les place clairement dans le domaine de la confusion. Il s'agit de réalités
mystérieuses, d'identités mal perçues; de nature mécanique, pas même mécaniques dans un sens ordinaire; les signes
avant-coureurs d'un autre monde, les témoins de la faillibilité humaine. Un concept important à garder à l'esprit est
une dichotomie analytique introduite par Jerome E. Clark et destinée à hanter le cours de
cet article du début à la fin : il distingue les “anomalies événementielles,” ces occurrences rapportées qui sont
étranges et non-identifiées bien que semblant tout à fait compréhensible en tant que phénomènes physiques, des anomalies
de vécu
, des occurrences observables telles que des événements purement physiques et parfois vues par des
témoins multiple, bien que manifestant une étrangeté différente de tout phénomène conventionnel. Ce sont des visions
d'un autre monde, et rien ne les amène ou ne les maintient dans ce monde autrement que dans un
ressenti
s2Clark,
Jerome: Hidden Realms, Lost Civilizations, and Beings from Other Worlds, Detroit: Visible Ink Press, 2010, xiii..
Le folkloriste reconnaît de la même manière les récits d'expériences personnelles
, et un parallèle plus
proche avec les anomalies de vécu, la “rémémoration”, une projection narrative du vécu subjectif d'un événement
surnaturel.
Pour l'instant les ovnis discutés ici seront des observations aériennes inhabituelles observées directement par des témoins et présentées à un public n'ayant pas partagé directement le vécu en tant que témoin direct. Pour faire simple, ces ovnis se limiteront à des signalements basiques décrivant des objets physiques supposés. Je n'introduirai pas de sujets complexes et controversés tels que les enlèvements ou Roswell, ni d'éléments de grande étrangeté dans les observations d'ovnis volant dans le ciel. Aucune discussion des significations ou même relative aux extraterrestres n'apparaîtra, puisqu'il serait prématuré de s'aventurer si loin dans l'espace spéculatif alors que nous avons besoin de rester les pieds sur terre et d'examiner la question fondamentale de l'existence des ovnis. Trois cas récemment attaqués par des sceptiques serviront exemples pour ancrer la discussion dans une réalité concrète.