Afin de comprendre pourquoi la communauté scientifique a réagi comme elle l'a fait aux signalements de météorites, il nous faut examiner le contexte scientifique dans lequel les météorites sont apparues. La position de la science dans l'Europe occidentale en 1794 était ambiguë n1Pour an overview, see J. Ben-David, The Scientist's Role in Society: A Comparative Study (Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall, 1971), 75-87.. D'un côté, la science s'était institutionalisée en un certain nombre de societés savantes, dont certaines bénéficiaient d'un soutien royal s1McKie, D.: "Scientific Societies to the End of the Eighteenth Century", in Ferguson, A. (ed.), Natural Philosophy Through the Eighteenth Century and Allied Topics, Totowa, NJ: Rowman and Littlefield, 1972, pp. 133-143.. Un bon nombre de livres écrits par des scientifiques étaient publiés annuellement, renforcés par une publication plus rapide des résultats, ainsi que des criticiques dans des journaux scientifiques s2Knight, D. M.: Natural Science Books in English 1600-1900, New York: Praeger, 1972, en particulier pp. 63-106; J. -L. & M. Flandrin, "La Circulation du Livre dans la Société du 18ème Siècle", in F. Furet (ed.), Livre et Société dans la France du 18èmesiècle, vol. 2 (Paris: Mouton, 1970), pp. 39-72 ; McKie, D.: "The Scientific Periodical from 1665 to 1798", in Ferguson (ed.), op. cit. note 28, pp. 122-132; Kronick, D. A.: A History of Scientific and Technical Periodicals, 2nde edition. (Metuchen, NJ: Scarecrow Press, 1976).. Au sein de la communauté scientifique elle-même, la norme de la vérification expérimentale était largement acceptée, et les différends sur la réalité étaient souvent résolus par le recours à l'observation et l'expérimentation. D'un autre côté, les scientifiques étaient peu nombreux, étaient rarement soutenus pour leur travail en tant que chercheurs, et l'acceptation du public était loin d'être assurée. Il était difficile de faire carrière en science et en fait la nature exacte du rôle scientifique lui-même n'était pas claire n2Voir par exemple Hahn, R.: "Scientific Research as an Occupation in Eighteenth-Century Paris", Minerva, vol. 13 (1975), pp. 501-513 ; Crosland, M.: "Development of a Professional Career in Science in France", ibid., 38-57; et Stimson, D.: Scientists and Amateurs: A History of the Royal Society (New York: Greenwood Press, 1968), pp. 161-196.. La reconnaissance par d'autres scientifiques était souvent plus importante pour adhérer à la communauté scientifique que pour une formation formelle ou le maintien d'une position officielle. Il ne fait pas de doute qu'une communauté scientifique existait en , mais elle était considérablement moins solide et plus fragmentée que la communauté scientifique du 20ème siècle.
Les frontières intellectuelles et sociales de cette communauté étaient en conséquence plus difficiles à défendre. Il y avait des amateurs dans les sociétés scientifiques qui n'avaient pas de véritable compétence scientifique ; des experts adoptaient souvent des positions peu importantes ; et de nombreux scientifiques étaient écclésiastiques, ce qui rendait leurs loyautés doubles. Dans une telle situation il n'est pas surprenant qu'il y ait eu une résistance farouche à toute tentative d'élargir l'arène du discours scientifique. Tout ce qui allait contre les notions courantes devait être examiné avec attention et, si on n'arrivait pas à le faire rentrer dans le moule, était relégué à la somme des absurdités intellectuelles ; sans quoi la désorganisation serait devenue pire encore.
Particulièrement suspectes étaient les idées venant de 2 sources : les auteurs antiques et le peuple vulgaire. La fascination de la Renaissance pour les auteurs plus anciens et la tradition populaire avait été remplacée au cours du développement scientifique par une forte suspicion sur tout ce qui ne pouvait pas être soumis à l'expérience ou l'observation n3 Les modes changeantes dans les intérêts scientifiques sont indiquées au cours des 8 volumes de l'History of Magic and Experimental Science (New York: Columbia University Press, 1923-58) de L. Thorndike ; voir aussi Jones, R. F.: Ancients and Moderns, A Study of the Rise of the Scientific Movement in Seventeenth Century England (St. Louis, Mo.: Washington University Press, 1961), pp. 119-147.. Cette méfiance n'avait pas seulement pour but de protéger la science de la "superstition" ou de récits infondés, mais elle fournissait un mécanisme particulièrement important pour la science pour protéger ses frontières vulnérables. L'insistance pour que toutes les données utilisées par les scientifiques proviennent d'eux ou soient vérifiées par eux ne fournissait pas seulement un contrôle qualité rudimentaire des données, mais conservait les processus de la science fermement entre les mains des scientifiques. Admettre des données de l'extérieur n'était pas seulement considéré dangereux pour l'intégrité des idées scientifiques, mais impliquait une perte de contrôle substantielle. Cela signifiait nécessairement que toute menace potentielle du système de contrôle des données devait être minimisée.
Ce n'est ainsi pas par hasard que lorsque les météorites, soutenues par des récits anciens et les expériences du peuple commun, se présentèrent aux portes de la science, elles furent refoulées pendant un temps considérable ; car les scientifiques n'étaient que trop conscients de comment nombre d'autres "superstitions" essayaient aussi de se faire admettre.