Présentation à la réunion de l'Académie des Sciences de l'Arizona (Annexe C) ‑ Rapport Condon

Kuiper, Gerard (Laboratoire lunaire et planétaire, Université d'Arizona)Gerard Kuiper,

29 avril 1967

Il est difficile de résumer correctement l'ensemble très complexe des problèmes posés par les rapports d'ovnis. Je pense que le docteur McDonald rend un service à la science et au pays en tentant de mettre en place les standards de signalement et d'analyse ; mais je différerai de lui sur plusieurs point particuliers.

Mon propre implication avec les rapports d'ovnis remonte à en lorsqu'ils commencèrent à devenir fameux. J'étais alors directeur de l'Observatoire de Yerkes de l'Université de Chicago dans le Wisconsin du Sud, et le Chicago Daily News et d'autres journaux me contactèrent souvent pour avoir mon évaluation lorsque les rapports étaient reçus par les services de télégraphe. J'enseignais aussi par intermitence au Campus de Chicago et fus approché par des étudiants qui avaient eux-mêmes fait des observations intriguantes. Ces derniers signalements étaient généralement réglés assez facilement. Plusieurs d'entre eux étaient liés à des observations de la planète Jupiter observée vers les 4 h du matin entre des nuages en déplacement. Je fis aussi moi-même une observation d'ovni ! Cela arriva à l'Observatoire McDonald, de jour, alors que j'observais la planète Vénus avec le télescope de 82 pouces. Je fus étonné de voir dans le ciel diurne un certain nombre d'objets, d'apparence stellaire, avec la luminosité approximative de Vénus. De mesures focales rapides avec les [finders] du télescope établirent que ces objets étaient à quelques centaines de pieds au-dessus de l'observatoire et se déplaçaient approximativement avec la direction et la vitesse du vent. Ils se révélèrent être des araîgnées flottant sur leurs toiles au-dessus des Montagnes Rocheuses, provoquant des images de diffraction semblables aux étoiles lorsqu'elles étaient vues presque en direction du Soleil.

J'ai également eut connaissance de rapports de première main circulant en Californie du Sud lors de visites au Mont Palomar. Dans cette région, il y avait un culte qui organisait des réunions au lever ou coucher du Soleil pour l'observation d'ovnis, dont les détails étaient vraiment étonnants. Les astronomes de Palomar furent accusés apr des membres du culte de garder leurs secrets sur les ovnis observés et capturés (dont l'un était le diaphragme de Hartmann en forme de boule de 18 pieds de diamètre utilisé pour tester le télescope Hale de 200 pieds !). Je pris connaissance du rôle de M. Adamski qui vivait au pied du Mont Palomar et qui s'était associé avec un anglais qui était écrivain. Ensemble, ils produisirent un livre, Les soucoupes volantes ont atterri, qui devint un best seller. [The lore] concernant les auteurs de ce livre qui visitèrent souvent le Mont Palomar fut le sujet de beaucoup de conversations entre les équipes de service de Palomar et du Mont Wilson, et révélèrent beaucoup sur la fiabilité ou le manque de fiabilité dans les éléments présentés.

Je devrais corriger une déclaration qui a été faite selon laquelle des scientifiques s'étaient éloignés des rapports d'ovnis par peur du ridicule. En tant que scientifique pratiquant, je veux déclarer catégoriquement que n'est un non-sens. La recherche d'un scientifique est auto-dirigée. Il sait combien est limité et tronqué le temps qu'il peut consacrer à la recherche, parmi ses nombreux autres devoirs. Il sélectionne son domaine d'investigation non pas en fonction de pressions, mais parce qu'il voit la possibilité de faire une avancée scientifique significative. Nous vivons une période de croissance explosive de la science et le scientifique a des douzaines de choix. Sa sélection se fait de manière très similaire à celle d'un randonneur qui choisit un chemin dans le versant dangereux d'une montagne ou à travers la jungle. À tout moment, il se bat contre le temps et il sait que sa réputation scientifique est en jeu. Si son jugement était le bon, il obtiendra des résultats et sera loué par ses collègues. Une scientifique considererait la découverte d'une preuve de vie sur une autre planète comme peut-être la plus grande contribution qu'il puisse faire et qui pourrait lui apporter le prix Nobel. Mais il n'y a pas de raison pour lui de chasser tous les feux-follets. Un scientifique choisit son domaine de recherche parce qu'il croit qu'il contient de réelles promesses. Si par la suite son choix se révèle mauvais, il le vivra très mal et cherchera à affiner ses critères avant de recommencer. Ainsi, si la société trouve que la plupart des scientifiques n'ont pas été attirés par le problème ovni, l'explication doit être qu'ils n'ont pas été impressionnés par les rapports d'ovnis. Dans mon cas particulier, après avoir examiné plusieurs douzaines d'entre eux au cours des 20 dernières années, je n'ai rien trouvé qui fut digne de plus d'attention. Chaque scientifique doit, bien sûr, prendre de type de décision par lui-même. Toute personne curieuse ou impressionnée a le privilège de les suivre et est libre de solliciter l'intérêt d'autres.

Le sujet des signalements d'ovnis peut être mis en perspective en considérant 2 cas relativement analogues :

  1. l'annonce de la découverte d'organismes extraterrestres vivants dans des météorites ; et
  2. l'affaires des "canaux" martiens.

La plupart des gens, même des scientifiques, n'ont qu'une faible appréciation de l'hostilité extrême à la vie dans l'espace ; et la plupart d'entre nous, de par l'éducation et la tradition culturelle, aimeraient croire que la vie sur Terre n'est pas la seule. Chaque brindille dans le vent qui pourrait aller dans le sens de l'existence de la vie ailleurs est saisie et l'objet de vénération, si ce n'est d'un nouveau culte.

Dans la détection d'organisms dans des chutes de météorites comme dans le fait d'établir que les ovnis pourraient venir de l'espace, nous avons la dfficulté que nos zones de test, la Terre et son atmosphère, sont littéralement remplies d'organisms et de gadgets ; et que l'atmosphère elle-même montre des phénomènes météorologiques et électriques en changement permanent. Le problème est plus difficile que de trouver une aiguille dans une botte de foin ; c'est rechercher une brindille extraterrestre, souvent sur la base de rapports de croyant en une brindille extra-terrestre. Les annonces d'abord enthousiastes de découverte d'organismes extra-terrestres dans des météorites sont aujourd'hui attribuées à des contaminations terrestres. Le scientifique "impopulaire" qui a commencé a remis en cause cette "preuve" comme déraisonnable a été combattu ; mais société a souffert de "la perte d'un rêve" et certains de ses membres pourraient nourrir une rancœur envers ceux qui ont détruit le rêve.

Les canaux de Mars furent signalés par Schiaparelli, un scientifique italien réputé du siècle dernier, qui en fit la base de grandes spéculations sur la présence d'une vie intelligente sur Mars. Ces idées furent récupérées par des personnes enthousiastes ayant un intérêt littéraire aux USA et développées par la suite. Les observateurs prudents avec de meilleurs télescopes qui continuèrent à dénoncer les "canaux" comme des illusions d'optique furent sévèrement critiqués. Cette controverse décrédibilisa la science planétaire et affaiblit son statut dans les universités. À ce jour les effets n'en sont pas dissipés et affectent même négativement les programmes de la NASA au travers d'un soutien scientifique académique inadapté. Mariner 4 semble avoir réalisé ce que ces observateurs prudents de la moitié du siècle dernier n'ont pas réussi à faire, c'est-à-dire réduire à néant dans l'esprit du public le mythe des canaux de Mars avec tout ce qu'ils impliquaient. Ceci indique, s'il était nécessaire, que même les rapports de scientifiques peuvent parfois se révéler prématurés ou fous et qu'aucun sujet n'est aussi bien établi que lorsqu'une investigation scientifique continue et prudente n'est pas superflue.

Avant d'en terminer avec le sujet des canaux martiens, il est instructif de voir comme le culte a été perpétué dans la littérature semi-professionnelle pendant des décennies. Durant de nombreuses années, W. H. Pickering, le frère du fameux astronome de Harvard E. C. Pickering, rassembla les observations amateurs de canaux martiens et publia les résultats dans 44 rapports dans Popular Astronomy. Les observateurs amateurs furent "notés" en fonction du nombre de "canaux" qu'ils avaient repérés. Il y eut ainsi une prime au signalement de beaucoup de canaux. Pickering lui-même les compara à l'un de ces rapports de Popular Astronomy avec des haies qu'il avait vues alors qu'il survolait les Açores, spéculant que les canaux martiens étaient des haies conçues pour éviter que le sable et la végétation s'envolent d'une zone à l'autre (les "haies" faisaient souvent des centaines de miles de long et 25 à 100 miles de large).

Qu'est-ce qui, alors, peut être considéré comme une "vérité" scientifique et un standard adapté pour trouver cette vérité ? Comme cela affecte-t-il la position du scientifique sur les ovnis ? Je pense que la plupart des scientifiques ont pour un ou deux de leurs collègues plus âgés une telle haute considération qu'ils limitent largement leur standard ou leur référence à eux. En physique, dans les années 1920s ou 1930s, Niels Bohr eut cette distinction en Europe, et plus tard Fermi aux USA.

À une personne proposant sérieusement que 100 ou plus des 10000 ovnis enregistrés sont arrivés sur Terre depuis l'espace, on devrait poser quelques questions. Une est que parmi les planètes de notre Système Solaire (autres que la Terre) seule Mars semble avoir une possibilité éloignée pour abriter la vie. L'atmosphère très tenue (pression au sol d'environ 1 % de l'atmosphère terrestre) et l'absence d'oxygène en liberté, couplé au très faible contenu de vapeur d'eau et la pénétration de radiations quasi-ultraviolettes à la surface martienne, se combinent presque certainement pour exclure Mars en tant que terre propice à l'émergence d'"êtres" énergétiques qui pourraient construire et piloter des "véhicules spatiaux". Si au contraire on considère que les ovnis viennent d'en-dehors du système solaire, on trouvera que l'endroit le plus proche possible serait des planètes accompagnant des étoiles à plus de 4 à 10 années-lumières d'ici. Comme il est impossible de dépasser la vitesse de la lumière et ou même l'approcher avec des énergies finies, on doit admettre que les voyages spatiaux dureraient des décennies ou des siècles. Il est alors difficile d'imaginer comment il put y avoir eut un accroissement soudain en quelques années ; également, comme une civilisation pourrait se permettre autant de missions par an, toutes vers une planète éloignée. Ceci est ici certainement et entièrement inconcevable. De plus, pourquoi des êtres intelligents voudraient-ils examiner des déserts éloignés (comme dans le Nouveau-Mexique) au lieu de preuves évidentes d'intelligence sur Terre, telles que de grandes villes. Egalement, pourquoi ce développement éloigné interviendrait justement alors que notre propre développement d'appareils et de véhicules spatiaux prend place au sein de notre durée de vie dans l'univers sur plus de 10 milliards d'années. De plus, pourquoi aucun ovni n'a-t-il été observé par des groupes d'observateurs compétents travaillant depuis de nombreuses années dans des pays tels que l'Angleterre (Membres de l'Association Astronomique Britannique).

Enfin, il a été déclaré à cette réunion que le Rapport Robertson était malheureux et qu'il avait été utilisé pour supprimer des preuves. Comme il est admis même par les défenseurs des ovnis que quelque 99 % sont terrestres et basés sur des erreurs d'interprétation, il doit avoir semblé adéquat pour un groupe responsable conseillant le gouvernement de prévenir l'hystérie à une époque où nos forces militaires expérimentent de nouveaux équipements, les scientifiques utilisaient de nouveaux types de ballons et d'autres appareillages atmosphériques, et que les tensions internationales étaient élevées. Comme c'est le Département de la Défense qui a la responsabilité de se prémunir contre une invasion aérienne non désirée, il est logique et adapté qu'ils aient la responsabilité de recherche les appareils et autres appareillages aériens non prévus ; et il semblerait adapté pour le Rapport Robertson de contenir une déclaration selon laquelle aucun appareil hostile n'a jusqu'ici été observé.

Il est réitéré que nul plus grand progrès en science ne peut être fait qu'au travers de la découverte d'un phénomène totalement nouveau. Cependant, c'est seulement lorsque des observations d'ovnis seront faites qui convainquent un nombre de scientifiques compétents que quelque chose de réellement significatif est intervenu, qu'ils abandonneront leurs programmes en activité et redirigeront leurs efforts. La quasi-absence actuelle de participation scientifique ne peut que refléter le fait que les rapports ont fait défaut.

Encore une fois, si quelqu'un propose que les rapports d'ovnis méritent un examen scientifique, on doit également admettre que dans aucun autre domaine de recherche le scientifique n'est si handicapé par un assemblage étrange et décourageant de "données". Plus de 90 % de ces rapports se révèlent être des canulars ou de piètres signalements d'événements bien connus ou triviaux. Dans ces circonstances un résidu inexpliqué de peut-être 10 % n'est pas une base pour croire à des miracles. Il est plus raisonnable que ce résidu soit si déformé ou incomplet qu'il défie toute analyse.

S'il s'agissait d'une période dans la science d'ennui exceptionnel, il serait peut-être encore possible d'éveiller l'intérêt ; mais avec le progrès incroyable actuellement fait dans tous les domaines des sciences naturelles et de la biologie, seuls quelques scientifiques professionnels ressentiront l'appel de la jungle.

Le Département de la Défense ayant l'obligation et les moyens d'observer les appareils spatiaux étrangers et des appareillages similaires, et ce Département ayant également accès à l'information sur les "appareils" expérimentaux, ce canal d'information semble être le seul logique pour apporter une mesure de fiabilité et de santé sur ce sujet. Jusqu'à ce que 100 sauf 1 cas soient établis être d'un intérêt scientifique, le sujet entier restera fantaisiste pour la plupart des scientifiques en exercice. Ils pourraient citer Einstein, dont l'opinion fut demandée sur les rapports d'ovnis : Je suis sûr qu'ils ont vu quelque chose.

En évaluant les rapports d'ovnis, on doit garder à l'esprit le manque d'expérience de la plupart des observateurs à rapporter précisément et objectivement les phénomènes naturels. Ainsi dans les rapports, les observations elles-mêmes peuvent être enterrées sous des interpretations qui reflètent le cadre de référence mental des rapporteurs. Une grande partie de la génération actuelle a été abreuvée de science-fiction, et les rapports d'ovnis reflètent non seulement les images ainsi acquises, mais aussi sa déconsidération cavalière pour la loi naturelle. Les générations précédentes ont eu des histoires différentes et ont cru et rapporté avoir vu des sirènes sur des rochers, et plus récemment, des serpents de mer.

Il est étonnamment difficile d'imaginer des études scientifiques de phénomènes naturels rares. L'expérience du Réseau Smithsonian Météoritique Prairie, organisée via de nombreuses stations équipées avec les appareils photos les plus modernes et soutenant un équipement électronique, illustre ce point : aucune météorite n'a jusqu'ici été récupérée de la masse des excellentes trajectoires photographiques obtenues sur une période de 3 ans. De la même manière, aucune donnée adéquate n'existe encore sur les boules lumineuses (un phénomène connu depuis au moins un siècle) et autres phénomènes atmosphériques de plasma. Néanmoins, un effort spécial pourrait être fait au Département de la Défense ou à l'Agence Fédérale pour l'Aviation, largement avec les installations déjà existantes, pour obtenir des enregistrements fiables de tous objets ou phénomènes non attendus qui pourraient intervenir dans notre atmosphère. Cela éclaircirait la jungle d'incertitude, d'espérances, de désillusion, et de frustration actuelle ; et amènerait probablement à de nouvelles découvertes sur notre environnement.